Dans le nord d’Haïti, vitrine touristique du pays, l’activité pâtit de la violence des gangs à Port-au-Prince

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La région de Cap-Haïtien s’enorgueillit de nombreux sites historiques mondialement réputés. Mais les visiteurs étrangers se font de plus en plus rares dans la « capitale touristique » de ce pays en proie à une profonde crise politique et sécuritaire.  

Par Jean-Michel Hauteville (Cap-Haïtien (Haïti), envoyé spécial)  

Enserré entre une baie aux eaux translucides et des « mornes » (collines) aux pentes luxuriantes, le village de Labadie, dans le nord d’Haïti, a tout d’une carte postale des Caraïbes. Ce paisible bourg côtier au charme décrépit semble à mille lieues de la terreur qui règne dans les bidonvilles de Port-au-Prince, la capitale du pays, livrée à des bandes surarmées qui sèment la désolation depuis plusieurs années. 

Cependant, un air de mélancolie semble s’être abattu sur cette localité balnéaire de quelques milliers d’âmes. Dans le lagon couleur d’émeraude, une vingtaine de bateaux-taxis bariolés – baptisés Christ-capable, Confiance-en-Dieu ou encore Jezi-konnen (« Jésus sait », en créole) – se languissent sur les flots. « Il n’y a plus de touristes », grommelle Cassiani Orélis, patron d’un bateau-taxi depuis douze ans. « Ça fait six mois que les bateaux de croisière ne viennent plus. Il ne nous reste que la pêche et quelques petits boulots pour survivre », se désole ce père de famille de 47 ans. 

Sur la péninsule située de l’autre côté de la baie, la station touristique privée de Labadee, au nom anglicisé pour séduire la clientèle américaine, est déserte. En avril, la compagnie américaine Royal Caribbean International, qui loue à l’Etat haïtien, depuis les années 1980, ce promontoire verdoyant entouré de plages, avait annoncé la suspension, jusqu’au mois d’octobre, des escales dans son port de croisière du nord d’Haïti. 

Crise sécuritaire et politique 

En cause, la crise sécuritaire et politique dans laquelle s’enfonce le pays caribéen. Puis, en septembre, le groupe indiquait que ses paquebots continueraient d’éviter son enclave privée haïtienne jusqu’en avril 2026 « par mesure de précaution ». Deux mois auparavant, le département d’Etat américain avait formellement déconseillé à ses ressortissants de se rendre en Haïti, citant des dangers tels que « les enlèvements, la criminalité, l’activité terroriste ». Depuis, le toboggan géant et la tyrolienne de Labadee, bien visibles depuis la mer, sont à l’arrêt. 

« Les bateaux venaient cinq fois par semaine. Je pouvais gagner plus de 5 000 gourdes [33 euros] par jour. Les touristes américains laissaient de gros pourboires », se remémore Cassiani Orélis. Une embarcation bleu et blanc démarre, avec à son bord quelques villageois ainsi que des chèvres : les bateaux-taxis continuent d’assurer le transport collectif, mais cette activité est bien moins lucrative que les excursions touristiques. 

« Labadee est vital pour le tourisme dans notre région, c’est notre première carte de visite », assure Steve Mathieu, le président de la chambre de commerce du nord d’Haïti, dans son bureau de Cap-Haïtien, la métropole régionale. Le terminal accueille, en temps normal, « entre 750 000 et 1 million » de croisiéristes par an, générant « plusieurs centaines » d’emplois directs, ajoute ce dirigeant d’une fondation consacrée au développement local. La compagnie s’acquitte en outre d’une taxe de 12 dollars par croisiériste auprès de l’Etat haïtien. 

Richesse culturelle 

La suspension des escales représente une perte financière notable pour le gouvernement de ce pays pauvre. Pourtant, un calme relatif règne dans le nord d’Haïti, permettant aux habitants de vaquer à leurs occupations, loin de la violence des gangs qui sévissent dans la capitale du pays. « L’ambiance est paisible, car les gens qui vivent ici se connaissent », analyse M. Mathieu. « Il y a une grande majorité de paysans. » 

Mais la tranquille province du « Grand Nord » a fini par être rattrapée par les conséquences indirectes de la crise sécuritaire qui n’en finit pas de s’aggraver dans l’agglomération de Port-au-Prince. « Le tourisme pâtit de la situation sociopolitique, économique, globale du pays », regrette Néferti Gracia, la directrice exécutive de l’Organisation de gestion de la destination Nord Haïti (OGDNH), une association d’acteurs locaux du tourisme fondée en 2014. 

Et ce, alors que la région s’enorgueillit de plusieurs sites réputés, notamment la citadelle La Ferrière et les ruines du palais Sans-Souci, construits sur les hauteurs, à quelques kilomètres de Cap-Haïtien, au début du XIXe siècle, peu après l’indépendance de cette ancienne colonie française. Ces monuments sont classés au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1982. « Dans le “Grand Nord”, on a les plages, une très belle nature, et l’histoire. C’est la capitale touristique du pays », résume Yvon Charles, médiateur social et culturel à l’OGDNH. 

Le seul aéroport international du pays en activité 

Depuis plus d’un an, après une série d’attaques, l’aéroport international de Port-au-Prince est fermé. Cette situation a fini par profiter au nord du pays : le petit aéroport régional de Cap-Haïtien, plus sûr, accueille désormais tous les vols internationaux du pays, assurés par la compagnie aérienne haïtienne Sunrise Airways. 

 « Tout le monde est obligé de passer par le Cap pour arriver et pour partir, donc ça remplit les hôtels », se félicite Jean-Bernard Simonnet, directeur exécutif de l’hôtel Cormier Plage Resort, situé à mi-chemin entre Cap-Haïtien et Labadie. L’établissement trois étoiles, qui avait été contraint de fermer ses portes durant deux mois fin 2024, en raison des pénuries récurrentes de carburant qui empêchaient de faire fonctionner les groupes électrogènes, affiche actuellement « 67,5 % de remplissage », indique ce patron franco-haïtien. Ses clients sont, en grande partie, des membres de la diaspora haïtienne en vacances au pays. 

De rares touristes étrangers s’aventurent encore toutefois dans la région. « La ville est moins dangereuse que je ne me l’étais imaginé, mais elle est vraiment très sale », juge Roman Denisenko, un vacancier russe de 45 ans, croisé dans un autre hôtel. « La citadelle est impressionnante : elle me rappelle Carcassonne ou le Krak des Chevaliers », ajoute ce passionné de voyages. 

Pour sa part, Jean-Bernard Simonnet envisage même d’agrandir son hôtel, et a entamé les pourparlers avec sa banque. « Je suis optimiste, mais en même temps, je connais la situation d’Haïti, souffle le dirigeant. Il y a un manque total de vision pour l’avenir : comment va-t-on développer le Cap ? » 

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